Commentaires et débats sur l'actualité de l'environnement et du développement durable
En juin 1972, la première conférence mondiale sur l'environnement, qui se tenait à Stockholm, avait été précédée par une polémique autour de l' « arrêt de la croissance » et de la « croissance zéro ».
Son élément déclencheur avait été la publication aux Etats-Unis, en mars 1972, d'un livre de 205 pages titré The Limits To Growth (les limites à la croissance). Idée de base : évaluer grâce à un modèle informatique les relations entre croissance démographique et économique, production alimentaire, pollution et ressources naturelles. Cet ouvrage, souvent attribué à tort à son « commanditaire », le Club de Rome, allait rencontrer un succès immédiat et planétaire.
Quarante ans plus tard, à la veille du sommet Rio+20, « successeur » de celui de Stockholm, les éditions Rue de l'Echiquier ont eu la bonne idée de republier ce texte fondateur, sous le titre Les Limites à la croissance (dans un monde fini). Remise à jour en 1992 et en 2004 par les auteurs, une quinzaine de scientifiques autour de Dennis et Donna Meadows du Massachusetts Institute Of Technology, cette édition a le grand mérite de remettre les pendules à l'heure.
En effet, depuis sa sortie, ce rapport n'a cessé de susciter incompréhensions, contresens et caricatures. Selon une idée reçue,
ses auteurs prévoyaient la fin inexorable et à court terme de la croissance en raison de l'épuisement des ressources, se soldant par un effondrement de l'économie mondiale. Or, ces prévisions «
apocalyptiques » ne se sont pas réalisées. On a donc eu beau jeu de rejeter Meadows et son équipe comme des « prophètes de malheur ».
Or, le grand intérêt de cette réédition est de montrer que le « rapport Meadows », dans sa version de 1972, n'envisageait en aucun cas un « arrêt de la croissance » dans les quelques décennies suivant sa publication. Selon ses conclusions, les « limites » ne risquaient être atteintes qu'une cinquantaine d'années plus tard, soit autour de 2020. Bref, on avait mal lu, voire pas lu du tout, le texte original. Et on s'est dit qu'on avait tout le temps de réagir et de prendre des mesures. Erreur on ne peut plus funeste, car le rapport Meadows souligne que de nombreux facteurs, tels que le prélèvement des ressources naturelles par l'humanité, suivent une progression non pas linéaire, mais exponentielle. Autrement dit, leur augmentation est proportionnelle à la quantité déjà prélevée. En 1972, le mathématicien Robert Lattès avait illustré ce phénomène avec l'exemple du nénuphar dont la taille double chaque jour, finissant au bout de 30 jours par recouvrir tout l'étang, annihilant toute autre forme de vie. Or, la plante ne recouvrait que 0,2 % de l'étang au 21e jour, 3 % au 25e et 50 % au 29e. Le franchissement des limites est ainsi vécu comme un phénomène soudain et inattendu, et c'est précisément, selon Dennis Meadows, ce qui nous pend au nez dans les prochaines années. Alors que l'on croyait le danger écarté, il va nous revenir en pleine figure.
En France, l'incompréhension sur le rapport Meadows a été aggravée par le fait, rappelé par Jean-Marc Jancovici dans sa préface de 2012, qu'il était sorti au printemps 1972 (chez Fayard) sous un titre trompeur : « Halte à la croissance ? ». Cela avait eu pour effet de déplacer le débat autour de la « croissance zéro ». A l'époque, le rapport avait été parfois attribué à tort non pas à l'équipe du MIT, mais à son « sponsor » : de « rapport au Club de Rome », on avait glissé à « rapport du Club de Rome », ce qui avait nourri discussions et fantasmes au sujet de cette organisation d'industriels et décideurs dirigée par le grand patron italien Aurelio Peccei. Pour une grande partie de la gauche de l'époque, ce rapport n'était qu'une opération du « grand capital » pour imposer l'austérité aux peuples et empêcher le tiers-monde de se développer.
De passage à Paris en mai pour présenter son livre, Dennis Meadows a affiché son scepticisme par rapport au Sommet Rio+20, qui, à ses yeux, ne débouchera sur rien de concret. Dénonçant avec énergie les mirages de la « croissance verte », il espère en revanche que le « Sommet de peuples » permettra aux ONG, dont il souligne le rôle essentiel, de mieux coordonner leurs actions. Déjà sceptique en 1972 à l'égard des adeptes de la « croissance zéro », ce scientifique américain considère aujourd'hui comme « contre-productive » la mise en avant de la « décroissance ». A ce thème qu'il juge démobilisateur, Meadows préfère ceux de « société durable », d' « état stationnaire » et surtout de « résilience », autrement la capacité d'une société à résister à des crises majeures désormais inévitables.
Cet article est paru dans le numéro spécial Rio+20 de la Lettre Options Futurs, que vous pouvez télécharger gratuitement
en cliquant ici.